(Article paru dans le Monde)
Doucement mais sûrement la forêt amazonienne brésilienne perd du terrain. En douze mois, la végétation tropicale a encore reculé de 11 968 km2, soit une accélération du rythme de la déforestation de 3,8 % en un an. Le ministre de l'environnement du Brésil, Carlos Minc, considère pourtant que "la déforestation est stabilisée".
L'essentiel des destructions est illégal. La législation actuelle ne parvient à arrêter ni les tronçonneuses ni les incendies volontaires, et les défenseurs de l'environnement se mobilisent aujourd'hui pour empêcher la révision du Code forestier, qui pourrait, disent-ils, être fatale à la forêt. Ils ont face à eux le puissant lobby de l'agrobusiness, qui assure manquer de terres pour répondre à la demande.
A Brasilia, le Congrès discute actuellement de la diminution de la "réserve légale" instaurée par le Code forestier, cette part de végétation sauvage que tout propriétaire doit préserver, sur une parcelle située dans le bassin amazonien. Cette réserve passerait de 80 % à 50 % de la surface. Le Sénat a approuvé cette disposition en décembre 2007, au lendemain de la conférence sur le climat de Bali. La commission de l'environnement de la Chambre des députés, dominée par des représentants du monde rural, pourrait l'imiter avant la fin de l'année, mais les débats y sont tendus.
Les gros fermiers font pression, semble-t-il, pour compenser des dispositions qui gênent l'extension de leurs plantations de soja et de leurs pâturages. Par exemple, la récente résolution de la banque centrale, qui refuse d'accorder un crédit rural aux producteurs ayant illégalement déboisé leurs propriétés.
"Le gouvernement doit clarifier sa position, estime José Sarney Junior, député du Parti vert et membre de la commission parlementaire, car il hésite entre laisser la frontière agricole avancer sur la forêt et préserver le rôle d'une région qui rend service à la planète entière." L'importance du secteur agricole, premier exportateur mondial de soja et de viande, a cependant souvent incité les autorités de Brasilia à donner raison au monde rural.
La reformulation du Code, dont certains alinéas datent de 1934, est nécessaire, mais Carlos Minc s'est déclaré opposé à la réduction des réserves, en accord, assure-t-il, avec le président Luiz Inacio Lula da Silva.
Dans le nouveau projet, les ruralistas (lobby agricole) ont pour l'instant obtenu la possibilité de replanter sur la partie déboisée des espèces dites "exotiques", étrangères au milieu naturel, par exemple des palmiers qui assureraient un bon rendement aux propriétaires. Ceci au grand dam des écologistes.
Ce sont les Etats brésiliens de l'Amazonie, rongés par l'agriculture intensive, qui battent les records de déforestation. Cette année, la moitié des destructions a eu lieu dans l'Etat du Para. Selon le ministère de l'environnement, seules trois des trente-six municipalités où se concentrent l'abattage des arbres et la lutte contre la déforestation ont respecté la loi de 80 %. Brasil Novo n'a conservé que 17,47 % de sa forêt.
"Nous ne croyons pas que la loi puisse sauver l'Amazonie, la preuve nous en est apportée quotidiennement, reconnaît Marcio Astrime, de Greenpeace Brésil. Mais si la loi est affaiblie, les effets seront pires encore." L'organisation non gouvernementale (ONG) a lancé une campagne contre le projet de révision du Code forestier, dénonçant "une réforme opportuniste" qui conforte l'impunité de ceux qui détruisent.
Le projet propose en effet de "débloquer la situation actuelle" en offrant aux auteurs des destructions de compenser les dommages en préservant, "ailleurs", une surface équivalente. "Mieux vaut rentabiliser les aires déjà endommagées et conserver celles qui sont encore intactes, au lieu de détruire la nature en damier", argumente le sénateur du Para, auteur de la réforme du Code forestier, Flexa Ribeiro, qui affirme que son projet initial ne réduisait pas la réserve légale.
Les écologistes sont, quant à eux, partisans de la rémunération des propriétaires qui conservent la réserve en assurant une exploitation durable. Dans leur Pacte pour la valorisation de l'Amazonie, neuf ONG brésiliennes et internationales ont proposé de "rétribuer la forêt sur pied" pour parvenir à l'objectif de "déforestation zéro" en 2015. Conscient des enjeux se concentrant autour de l'Amazonie, le président Lula a annoncé, lundi 1er décembre, au premier jour de la conférence sur le climat qui se tient à Poznan (Pologne), un plan de lutte contre la déforestation comportant pour la première fois des objectifs chiffrés.
Il s'agit de réduire les destructions de 40 % d'ici 2010, un objectif jugé "peu sérieux"par Greenpeace. Le président brésilien a également annoncé un objectif de diminution de la déforestation de 70 % d'ici 2018.
"Le point de non-retour en Amazonie est proche, estime Gilvan Sampaio, de l'Institut national de recherche spatiale, qui observe par satellite la déforestation. Si 30 % de la forêt étaient encore détruits, cet écosystème cesserait d'exister, remplacé par un autre - une sorte de savane." Au rythme actuel, la moitié des arbres aura disparu en 2050.
Quelques chiffres sur cette région du Brésil :
Superficie : la partie brésilienne du bassin de la forêt amazonienne couvre 5 millions de kilomètres carrés, dont 46 % protégés par la loi : 100 000 km2 de réserves indiennes ; 200 000 km2 d'unités de conservations fédérales pour l'exploitation durable et 1,9 million de km2 de forêts publiques.
Nombre d'habitants : 25 millions de personnes.
Population indienne : 220 tribus comprenant 480 000 personnes.
Déforestation : 17 % de la végétation primaire, soit 700 000 km2, ont disparu en trente ans. Les quatre-cinquièmes de la déforestation sont illégaux.
Incendies de forêt : au nombre de 22 000 en 2007.
Pistes clandestines : il en existe 100 000 km.
Réserves d'eau : sur 100 000 km de cours d'eau, elles représentent 23 % de l'eau potable de la planète.
CO2 stocké : 70 milliards de tonnes.
Emission de CO2 du Brésil : 1 milliard de tonnes en 2004, dont 75 % sont dus aux brûlis de la forêt.